le prophète

de Khalil Gibran

Le prophète est un livre rempli d'une profonde compréhension de la vie, écrit de manière poétique et imagée. Extraits choisis :

 

« Longs ont été les jours d'amertume que j'ai passés dans ses murs, et longues furent les nuits de la solitude; et qui peut abandonner son amertume et sa solitude sans regret ? »

« Ce n'est pas un vêtement que j'enlève en ce jour mais une peau que j'arrache de mes propres mains. »

« Car rester, cependant que les heures brûlent dans la nuit, c'est se laisser prendre dans le cristal du gel et être immobilisé dans un moule.
Volontiers emporterais-je avec moi tout ce qui est ici. Mais comment le pourrais-je ?
Une voix ne peut emporter la langue et les lèvres qui lui ont donné des ailes. Elle doit s'élancer, seule, dans l'éther.
Et seul et sans son nid l'aigle volera à travers le soleil. »

Amour

« Quand l'amour vous fait signe, suivez-le,
Bien que ses voies soient dures et escarpées.
Et lorsque ses ailes vous enveloppent, cédez-lui,
Bien que l'épée cachée dans son pennage puisse vous blesser. »

« Car de même que l'amour vous couronne, il doit vous crucifier. De même qu'il est pour votre croissance il est aussi pour votre élagage. »

« Toutes ces choses, l'amour vous les fera pour que vous puissiez connaître les secrets de votre cœur et devenir, en cette connaissance, un fragment du cœur de la Vie. »

« Mais si dans votre peur, vous ne recherchez que la paix de l'amour et le plaisir de l'amour,
Alors il vaut mieux couvrir votre nudité et sortir de l'aire de l'amour, »

« L'amour ne donne que de lui-même et ne prend que de lui-même.
L'amour ne possède pas, et ne veut pas être possédé;
Car l'amour suffit à l'amour. »

« L'amour n'a point d'autre désir que de s'accomplir. »

« Connaître la douleur de trop de tendresse. »

Mariage

 « Mais qu'il y ait des espaces dans votre communion,
Et que les vents du ciel dansent entre vous. »

« Emplissez chacun la coupe de l'autre mais ne buvez pas à une seule coupe. »

« Donnez vos cœurs, mais non pas à la garde l'un de l'autre. »

« Et le chêne et le cyprès ne croissent pas dans l'ombre l'un de l'autre. »

Enfants

« Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même.
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. »

« Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées. »

« Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier. »

« Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable. »

Don

« Vous ne donnez que peu lorsque vous donnez de vos biens.
C'est lorsque vous donnez de vous-même que vous donnez réellement.
Car que sont vos biens sinon des choses que vous conservez jalousement par crainte d'en avoir besoin demain ? »

« Et qu'est la peur de la misère, sinon la misère elle-même ?
Et la crainte de la soif devant votre puits plein, n'est-elle pas déjà la soif inextinguible ? »

« Il en est qui donnent peu de l'abondance qu'ils ont – et ils donnent pour susciter la reconnaissance, et leur désir secret corrompt leur don. »

« Il en est qui ont peu et qui le donnent entièrement.
Ceux-ci croient en la vie et dans la bonté de la vie, et leur coffre n'est jamais vide. »

« Il est bon de donner lorsqu'on est sollicité, mais il est mieux de donner sans être sollicité, par compréhension; »

« Et pour les généreux, rechercher ceux qui recevront est une joie plus grande que le don. »

« Et est-il une chose que vous voudriez refuser ?
Tout ce que vous avez sera donné un jour;
Donnez donc maintenant, afin que la saison de donner soit vôtre et non celle de vos héritiers. »

« Sûrement celui qui est digne de recevoir ses jours et ses nuits, est digne de tout recevoir de vous. »

« Et qui êtes-vous pour que les hommes se déchirent la poitrine et se dépouillent de leur fierté, de sorte que vous puissiez voir leur dignité mise à nu et leur fierté exposée ?
Voyez d'abord à mériter vous-même d'être donneur et instrument du don.
Car en vérité, c'est la vie qui donne à la vie – alors que vous, qui vous imaginez être donneurs, n'êtes en réalité que témoins. »

« Et vous qui recevez – et vous recevez tous – n'assumez aucune charge de gratitude, de crainte d'imposer un joug à vous-même et à celui qui donne.
Élevez-vous plutôt avec celui qui donne, prenant ses dons comme si c'étaient des ailes;
Car être trop soucieux de votre dette, c'est douter de sa générosité qui a la terre magnanime pour mère et Dieu pour père. »

Manger et Boire

« Mais puisque vous devez tuer pour manger, et ravir au nouveau-né le lait de sa mère pour étancher votre soif, faites-en donc un acte de dévotion,
Et que votre table soit un autel sur lequel les purs et les innocents de la forêt et de la plaine sont sacrifiés pour ce qui est plus pur et plus innocent en l'homme. »

Travail

« Vous travaillez pour pouvoir aller au rythme de la terre et de l'âme de la terre.
Car être oisif c'est devenir étranger aux saisons, et s'écarter de la procession de la vie, qui avance majestueusement et en fière soumission vers l'infini. »

« Lorsque vous travaillez, vous êtes une flûte à travers laquelle le murmure des heures se transforme en musique.
Lequel d'entre vous voudrait être un roseau, muet et silencieux, alors que tout chante à l'unisson ? »

« Mais je vous dis que lorsque vous travaillez vous accomplissez une part du rêve le plus lointain de la terre, qui vous fut assigné lorsque ce rêve naquit.
Et en vous gardant unis au travail, en vérité vous aimez la vie, »

« Mais si dans votre douleur vous appelez la naissance une affliction et le poids de la chair une malédiction inscrite sur votre front, alors je réponds que seule la sueur de votre front lavera ce qui est inscrit. »

« Et je vous dis que la vie est réellement obscurité sauf là où il y a élan,
Et tout élan est aveugle sauf là où il y a savoir,
Et tout savoir est vain sauf là où il y a travail,
Et tout travail est vide sauf là où il y a amour;
Et lorsque vous travaillez avec amour vous vous liez à vous-même, et l'un à l'autre, et à Dieu. »

« Et qu'est-ce que travailler avec amour ?
C'est tisser l'étoffe avec des fils tirés de votre cœur, comme si votre bien-aimé devait porter cette étoffe. »

« C'est mettre en toutes choses que vous façonnez un souffle de votre propre esprit, »

« Mais moi je dis, non pas en sommeil, mais dans le plein éveil du milieu du jour, que le vent ne parle pas plus doucement au chêne géant qu'au plus infime de tous les brins d'herbe;
Et celui-là seul est grand qui transforme la voix du vent en chant rendu plus doux par son propre amour. »

« Le travail est l'amour rendu visible. »

« Et si vous ne pouvez travailler avec amour mais seulement avec dégoût, il vaut mieux abandonner votre travail et vous asseoir à la porte du temple et recevoir l'aumône de ceux qui œuvrent dans la joie. »

Joie et Tristesse

« Votre joie est votre tristesse sans masque.
Et le même puits d'où fuse votre rire fut souvent rempli de larmes. »

« Plus profondément le chagrin creusera votre être, plus vous pourrez contenir de joie. »

« Lorsque vous êtes joyeux, regardez profondément en votre cœur et vous trouverez que ce qui vous apporte de la joie n'est autre que ce qui vous a donné de la tristesse.
Lorsque vous êtes tristes, regardez à nouveau en votre cœur, et vous verrez qu'en vérité vous pleurez pour ce qui fut votre délice. »

« Mais moi je vous dis qu'elles sont inséparables.
Ensemble elles viennent, et quand l'une vient s’asseoir seule avec vous à votre table, rappelez-vous que l'autre dort sur votre lit. »

« En vérité vous êtes suspendus comme une balance entre votre tristesse et votre joie.
Ce n'est que lorsque vos plateaux sont vides que vous êtes immobiles et en équilibre.
Lorsque le gardien du trésor vous soulèvera pour peser son or et son argent, il faudra que votre joie ou votre tristesse s'élève ou s'abaisse. »

Maisons

« Bâtissez de vos rêves une retraite dans le désert avant de bâtir une maison dans l'enceinte de la ville. »

« Votre maison est votre plus grand corps. »

« O si je pouvais cueillir vos maisons dans ma main et comme un semeur les éparpiller dans les forêts et les prés. »

« Dans leur peur, vos aïeux vous ont rassemblés trop près l'un de l'autre. Et cette peur durera encore un peu de temps. Encore un peu de temps les murs de vos cités sépareront vos foyers de vos champs. »

« Et dites-moi, peuple d'Orphalese, qu'avez-vous dans ces maisons ? Et que gardez-vous derrière ces portes fermées ?
Avez-vous la paix, la tranquille impulsion qui révèle votre puissance ? »

« Ou n'avez-vous que le bien-être, et la convoitise du bien-être, ce désir furtif qui entre en invité dans la maison, puis y devient un hôte, et puis un maître ? »

Vêtements

« Vos vêtements dissimulent une grande part de votre beauté, mais ils ne cachent pas ce qui n'est pas beau. »

« Puissiez-vous rencontre le soleil et le vent avec davantage de votre épiderme et moins de vos vêtements.
Car le souffle de la vie est dans le soleil et la main de la vie est dans le vent. »

« N'oubliez pas que la pudeur n'est qu'un bouclier contre l’œil impur.
Et quand l'impur disparaît, que devient la pudeur sinon une entrave et une souillure de l'esprit ? »

« Et n'oubliez pas que la terre se réjouit de sentir vos pieds nus et que les vents joueraient volontiers avec vos cheveux. »

Acheter et Vendre

« Pour vous la terre livre son fruit, et vous ne manquerez de rien si vous savez comment remplir vos mains. »

« C'est en échangeant les dons de la terre que vous trouverez l'abondance et serez comblés.
Cependant, à moins que l'échange ne se fasse dans l'amour et la justice bienveillante, il conduira les uns à l'avidité et les autres à la faim. »

« Et ne souffrez point que ceux qui ont les mains stériles prennent part à vos transactions, eux qui vendent leurs paroles en échange de votre travail. »

« Et si viennent les chanteurs et les danseurs et les joueurs de flûte, – achetez de leurs offres également.
Car eux aussi sont cueilleurs de fruit et d'encens, et ce qu'ils apportent, quoique façonné de rêves, est vêtement et nourriture pour votre âme. »

« Et avant que vous ne quittiez le marché, voyez si personne n'est parti les mains vides.
Car l'esprit maître de la terre ne reposera pas en paix sur le vent tant que les besoins du moindre d'entre vous n'auront été satisfaits. »

Crime et Châtiment

« Souvent je vous ai entendu parler de celui qui commet une mauvaise action comme s'il n'était pas l'un des vôtres, mais un étranger parmi vous et un intrus dans votre monde.
Mais je vous le dis, de même que le saint et le juste ne peuvent s'élever au-dessus de ce qu'il y a de plus élevé en chacun de vous,
Ainsi le mauvais et le faible ne peuvent tomber au-dessous de ce qu'il y a également de plus bas en vous. »

« Ainsi le malfaiteur ne peut agir sans le secret acquiescement de vous tous. »

« Et lorsque l'un d'entre vous tombe, il tombe pour ceux qui sont derrière lui, les prévenant de la pierre d'achoppement.
Oui, et il tombe pour ceux qui sont devant lui, qui bien qu'ayant le pied plus rapide et plus sûr, n'ont pourtant pas écarté la pierre. »

« L'assassiné n'est pas irresponsable de son propre assassinat. »

« Oui, le coupable est souvent la victime de l'offensé,
Et plus souvent encore le condamné supporte le fardeau pour l’innocent et pour l'irréprochable. »

« Si l'un d'entre vous met en jugement l'épouse infidèle,
Qu'il pèse aussi dans la balance le cœur de son mari, et mesure son âme avec soin. »

« Quel jugement prononcerez-vous contre celui qui bien qu'honnête en la chair est voleur en esprit ? »

« Et comment punirez-vous ceux dont le remords est déjà plus grand que leurs méfaits ? »

« Et que la pierre angulaire du temple n'est pas supérieure à la pierre la plus basse de ses fondations. »

Lois

« Vous vous complaisez à établir des lois,
Mais vous vous complaisez davantage à les violer. »

« Que dirai-je à ceux-là sinon qu'ils se tiennent eux aussi, dans la lumière, mais le dos au soleil ?
Ils ne voient que leurs ombres, et leurs ombrent sont leurs lois.
Et qu'est le soleil pour eux sinon un créateur d'ombres ? »

« Quelles lois craindrez-vous si vous dansez sans trébucher dans aucune chaîne de fer ? »

« Peuple d'Orphalese, vous pouvez voiler le tambour et vous pouvez délier les cordes de la lyre, mais qui pourra interdire à l'alouette de chanter ? »

Liberté

« Aux porte de la cité, et dans vos foyers, je vous ai vus vous prosterner et adorer votre propre liberté,
Comme des esclaves qui s'humilient devant un tyran et qui le glorifient alors qu'il les détruit. »

« Et mon cœur saigna en moi; car vous ne saurez être libres que lorsque même le désir de parvenir à la liberté deviendra pour vous un harnais et lorsque vous cesserez de parler de la liberté comme d'un but et d'un achèvement. »

« Vous serez libres en vérité non pas lorsque vos jours seront sans un souci et vos nuits sans un désir et sans une peine,
Mais plutôt lorsque ces choses enserreront votre vie et que vous vous élèverez au-dessus d'elles nus et sans entraves. »

« Et comment vous élèverez-vous au-dessus de vos jours et de vos nuits, si vous ne brisez les chaînes dont à l'aube de votre entendement vous avez chargé votre heure du midi ?
En vérité ce que vous appelez liberté est la plus forte de ces chaîne, bien que ses anneaux brillent au soleil et vous éblouissent. »

« Et qu'est-ce sinon des fragments de vous-même que vous voulez écarter pour devenir libres ?
Si c'est une injuste loi que vous voulez abolir, cette loi fut écrite de votre propre main sur votre propre front. »

« Et si c'est un despote que vous voulez détrôner, voyez d'abord si son trône en vous est bien détruit.
Car comment un tyran peut-il dominer les libres et les fiers, s'il n'existe une tyrannie dans leur propre liberté et une honte en leur propre fierté ? »

« Et ainsi votre liberté, lorsqu'elle perd ses entraves devient elle-même l'entrave d'une plus grande liberté. »

Raison et Passion

 « Votre âme est souvent un champ de bataille, où votre raison et votre jugement combattent votre passion et votre appétit.
Puissé-je être le pacificateur en votre âme, et transformer la discorde et la rivalité de vos éléments en unité et mélodie.
Mais comment le pourrais-je, à moins que vous-même ne soyez aussi les pacificateurs, bien plus, les amis de tous vos éléments ? »

« Ainsi, que votre âme élève votre raison à la hauteur de la passion, pour qu'elle puisse chanter;
Et que la raison dirige votre passion pour que votre passion puisse vivre dans une quotidienne résurrection et tel le phénix renaître de ses propres cendres. »

« Certes, vous ne voudriez pas honorer un hôte davantage que l'autre; car celui qui porte plus d'attention à l'un perd l'amour et la confiance de tous les deux. »

« Et puisque vous êtes un souffle dans la sphère de Dieu et une feuille dans la forêt de Dieu, vous aussi devez reposer dans la raison et vous mouvoir dans la passion. »

Douleur

« De même que le noyau du fruit doit se rompre pour que son cœur puisse s'offrir au soleil, ainsi vous devez connaître la douleur. »

« Beaucoup de votre douleur est par vous-mêmes choisi. »

« C'est la potion amère par laquelle le médecin en vous guérit votre moi malade.
Faites donc confiance au médecin et buvez sa potion en silence et tranquillité : »

Connaissance de soi-même

« Vos cœurs connaissent en silence les secrets des jours et des nuits. »

« Mais qu'il n'y ait pas de balance pour peser votre trésor inconnu;
Et ne cherchez pas les profondeurs de votre connaissance avec perche ou sonde.
Car le moi est une mer sans limites et sans mesures. »

Enseignement

 « Aucun homme ne peut rien vous révéler sinon ce qui repose déjà à demi endormi dans l'aube de votre connaissance. »

« Le maître qui marche à l'ombre du temple parmi ses disciples, ne donne pas de sa sagesse mais plutôt de sa foi et de son amour. »

« L'astronome peut vous parler de sa compréhension de l'espace, mais il ne peut pas vous donner sa compréhension. »

« Car la vision d'un homme ne prête pas ses ailes à un autre homme. »

« Et de même que chacun de vous se tient seul dans la connaissance de Dieu, de même chacun de vous doit être seul dans sa connaissance de Dieu et dans sa compréhension de la terre. »

Amitié

« Votre ami est la réponse à vos besoins.
Il est votre champ que vous ensemencez avec amour et moissonnez avec reconnaissance. »

« Lorsque votre ami révèle sa pensée, ne craignez pas le « non » de votre propre esprit, ni ne refusez le « oui ». »

« Et qu'il n'y ait pas de but dans l'amitié sinon l'approfondissement de l'esprit.
Car l'amour qui cherche autre chose que la révélation de son propre mystère n'est pas de l'amour mais un filet jeté : et seul l'inutile est pris. »

« Et que le meilleur de vous-même soit pour votre ami. »

« Car à quoi bon votre ami, si vous le cherchez afin de tuer le temps ?
Cherchez-le toujours pour les heures vivantes.
Car il lui appartient de combler votre besoin, mais non votre vide. »

Parole

« Vous parlez lorsque vous cessez d'être en paix avec vos pensées; »

« Et dans une large part de vos discours, la pensée est à moitié assassinée.
Car la pensée est un oiseau de l'espace, qui dans une cage de mots peut ouvrir ses ailes mais ne peut voler. »

« Quand vous rencontre votre ami sur le bord de la route ou sur la place du marché, que l'esprit en vous anime vos lèvres et dirige votre langue. »

Temps

« Vous voudriez mesurer le temps, l'infini et l'incommensurable. »

« Cependant l'intemporel en vous est conscient de l'intemporalité de la vie, »

« Qui parmi vous ne sent que son pouvoir d'aimer est illimité ?
Et cependant qui ne sent ce même amour, quoique illimité, enfermé au centre de son être, et ne procédant pas d'une pensée d'amour à une pensée d'amour, ni d'un geste d'amour à un autre geste d'amour ? »

« Et qu'aujourd'hui embrasse le passé avec souvenir et le futur avec aspiration. »

Bien et Mal

 « Car le mal qu'est-ce sinon le bien torturé par sa propre faim et sa propre soif ?
En vérité, lorsque le bien est affamé, il cherche sa nourriture même dans des caves obscures, et lorsqu'il est assoiffé, il s'abreuve même d'eaux mortes. »

« Vous êtes bons lorsque vous essayez de donner de vous-même.
Cependant vous n'êtes pas mauvais lorsque vous recherchez un gain pour vous-mêmes.
Car lorsque vous recherchez un gain vous n'êtes qu'une racine qui s'attache à la terre et se nourrit à son sein. »

« Même ceux qui boitent ne vont pas en arrière. »

« Mais vous qui êtes forts et rapides, gardez-vous de boiter devant les estropiés croyant être bienveillants. »

« Vous êtes bons dans d'innombrables chemins, et vous n'êtes pas nécessairement mauvais lorsque vous n'êtes pas bons,
Vous ne faites que flâner et paresser.
Quelle pitié que les cerfs ne puissent apprendre la rapidité aux tortues. »

Prière

 « Vous priez en votre détresse et en votre besoin ; puissiez-vous prier aussi dans la plénitude de votre joie et en vos jours d'abondance. »

« Lorsque vous priez, vous vous élevez pour rencontrer dans l'air ceux qui prient à cette même heure, et que, sauf en prière, vous ne pourriez rencontrer.
Aussi que votre visite dans ce temple invisible ne soit que pour l'extase et la douce communion. »

« Car si vous ne pénétrez dans le temple que pour solliciter vous ne recevrez pas :
Et si vous y pénétrez pour vous humilier vous ne serez pas élevé :
Ou même si vous y pénétrez pour implorer le bonheur pour les autres vous ne serez pas entendus.
C'est assez que vous pénétriez dans le temple invisible. »

« Dieu n'écoute pas vos paroles sauf lorsque Lui-même les prononce à travers vos lèvres. »

« Tu es notre besoin ; et en nous donnant plus de toi-même, tu nous donnes tout. »

Plaisir

 « Le plaisir est un chant de liberté
Mais il n'est pas la liberté. »

« Et volontiers je vous verrais le chanter à plein cœur ; mais ne voudrais point vous voir perdre vos cœurs dans ce chant. »

« Parmi vos jeunes, certains recherchent le plaisir comme s'il était tout, et ils sont jugés et châtiés.
Je ne voudrais ni les juger ni les châtier. Je voudrais les voir chercher.
Cars ils trouveront le plaisir, mais point seul ;
Sept sont ses sœurs, et la moindre d'entre elles est plus belle que le plaisir. »

« Et quelques-uns de vos aînés se souviennent de plaisirs avec regret comme d'erreurs commises en état d'ivresse.
Mais le regret est l'ombre de l'esprit et non pas son châtiment.
Ils devraient se souvenir de leurs plaisirs avec gratitude, comme ils le feraient pour la récolte d'un été. »

« Mais dites-moi, quel est celui qui peut offenser l'esprit ?
Le rossignol offense-t-il la tranquillité de la nuit, ou la luciole les étoiles ? »

« Souvent en vous refusant le plaisir vous ne faites qu'accumuler le désir dans les replis de votre être.
Qui sait seulement que ce qui semble omis aujourd'hui attend pour demain ?
Même votre corps connaît son héritage et son juste besoin, et veut n'être pas déçu.
Et votre corps est la harpe de votre âme,
Et il vous appartient d'en tirer musique douce ou son confus. »

Beauté

 « Où chercherez-vous la beauté et comment la trouverez-vous, à moins qu'elle ne soit elle-même votre chemin et votre guide ?
Et comment pourrez-vous parler d'elle, si elle ne tisse elle-même vos paroles ? »

« Toutes ces choses vous les avez dites de la beauté,
Mais en vérité vous n'avez pas parlé d'elle mais de désirs insatisfaits,
Et la beauté n'est pas un désir mais une extase. »

« Elle n'est pas l'image que vous voudriez voir ni le chant que vous voudriez entendre,
Mais plutôt une image que vous voyez, bien que vous fermiez les yeux et un chant que vous entendez, bien que vous bouchiez vos oreilles. »

« Mais plutôt un jardin toujours en fleurs et une nuée d'anges toujours en vol. »

« Peuple d'Orphalese, la beauté est la vie lorsque la vie dévoile son saint visage. »

Religion

 « Ai-je parlé aujourd'hui de quelque autre chose ? »

« La religion n'est-ce pas tout acte et toute réflexion,
Et ce qui n'est ni acte ni réflexion, mais un étonnement et une surprise toujours naissant dans l'âme, même lorsque les mains taillent la pierre ou tendent le métier ? »

« Qui peut séparer sa foi de ses actions, ou sa croyance de ses occupations ?
Qui peut étendre ses heures devant lui, disant, « ceci pour Dieu et ceci pour moi-même ; ceci pour mon âme et ceci pour mon corps » ? »

« Celui qui ne porte sa moralité que comme son meilleur vêtement, il vaudrait mieux qu'il fût nu.
Le vent et le soleil ne feront pas de trous dans sa peau. »

« Et celui qui règle sa conduite selon l'éthique emprisonne son oiseau-chanteur dans une cage. »

« Et celui pour qui l'adoration est une fenêtre, à ouvrir mais aussi à fermer, n'a pas encore visité la demeure de son âme dont les fenêtres sont ouvertes d'une aurore à l'autre. »

« Votre vie quotidienne est votre temple et votre religion.
Lorsque vous y pénétrez prenez tout votre être avec vous. »

« Car en rêve vous ne pouvez vous élever au-dessus de vos achèvements ni tomber plus bas que vos échecs. »

« Et si vous voulez connaître Dieu ne soyez pas préoccupés de résoudre des énigmes. »

« Regardez plutôt autour de vous et vous Le verrez jouant avec vos enfants. »

Mort

« Vous voudriez connaître le secret de la mort.
Mais comment le trouverez-vous sinon en le cherchant dans le cœur de la vie ? »

« Car la vie et la mort sont un, de même que le fleuve et l'océan sont un. »

« Dans la profondeur de vos espoirs et de vos désirs repose votre silencieuse connaissance de l'au-delà ; »

« Fiez-vous aux rêves, car en eux est cachée la porte de l'éternité. »

« C'est seulement lorsque vous boirez à la rivière du silence que vous chanterez vraiment. »

« Si ce que j'ai dit est vrai, cette vérité se manifestera d'une voix plus claire, et en mots plus proches de vos pensées. »

« C'est dans l'homme vaste que vous êtes vastes, »

« On vous a dit que, de même qu'une chaîne, vous êtes aussi faibles que votre plus faible chaînon.
Ceci n'est que la moitié de la vérité. Vous êtes également aussi forts que votre plus puissant chaînon.
Vous mesurer à votre plus petit geste c'est estimer le pouvoir de l'océan à la fragilité de son écume. »

« Et bien qu'en votre hiver vous niiez votre printemps,
Le printemps, reposant en vous, sourit en son assoupissement et n'est pas offensé. »

« En vérité la bonté qui se contemple dans un miroir se pétrifie.
Et une bonne action qui se nomme elle-même avec tendresse devient presque une malédiction. »

« Ce qui est vous demeure au-dessus de la montagne et erre avec le vent. »

« Si ces paroles sont vagues, alors ne cherchez pas à les rendre claires. »

« Ce qui semble le plus faible et le plus égaré en vous est le plus fort et le plus déterminé. »